mercredi 13 janvier 2010

Vertige des gros nombres


Appelons ça la peur du vide de sens. La phobie des abîmes conceptuels.
"Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement". La réciproque est souvent fausse !
Ceux qui manipulent - énoncent - des nombres élevés comme des millions, des milliards - ou, à plus forte raison, des grandes puissances de 10, conçoivent peut-être qu'ils manipulent un concept, mais ne réalisent pas forcément ce que cela représente dans la "vraie vie".
J'ai remarqué que, bien souvent, dès qu'on sort un nombre "savant", on se fait dire "j'y comprends rien".
Ou pire, on se fait retourner un regard bovin, genre "je m'en fous". Il n'y a pas plus aveugle ni malpoli, comme attitude.
Je m'explique (car j'exagère, sans doute) : dit-on de quelqu'un qui ne fait pas la différence entre une noisette et une montgolfière qu'il a une bonne vue ? De quelqu'un qui pense qu'une minute ou un jour "c'est pareil", qu'il est ponctuel ?
Pourtant, une montgolfière mesure environ 15m de diamètre, soit 1500 fois la taille d'une noisette.
Et un jour dure presque 1500 minutes.
Mais certaines personnes ne sont pas particulièrement choquées quand on leur dit que la Lune est à 250 km de la Terre. Ou à 600 millions de km. Soit 1500 fois moins ou plus que la réalité.
Ils lèvent la tête, elle est là, grise comme un crâne. C'est tout ce qui compte.

Ça se corse davantage quand les chiffres deviennent vraiment gros. Il y a une sorte de "déni" des dates vertigineuses comme les milliards d'années. Des durées pareilles, ça ne se peut pas, disent ceux qui ont du "bon gros sens" (en fait pas de sens du tout. Des aveugles !)
Eh bien, trente ans font près d'un milliard de secondes.Le sablier n'attend pas pour accumuler son tas, grain par grain. Que le grain soit une seconde ou un siècle. Une vie humaine compte moins de secondes que l'âge de la Terre ne compte d'années.

L'erreur peut être absolue ou relative.
Absolue : par exemple, placer les dinosaures il y a 10 millions d'années, alors qu'ils se sont éteints il y a 65 millions d'années. C'est une erreur absolue de 55 millions d'années, c'est ÉNORME pour un amateur en géologie ou paléontologie, mais c'est honorable pour quelqu'un qui n'y connait rien car le rapport de l'erreur n'est "que" de 5 fois environ.
Relative : "les dinosaures ? bah, c'était il y a 10.000 ans !" (vous savez, ce cliché de l'homme des cavernes, avec un diplodocus et un volcan en toile de fond).Ici, on se trompe de grosso modo 65 millions d'années. Soit un rapport de 6500 fois.
Selon ce rapport, ça reviendrait à croire que le couronnement de Napoléon c'était il y a moins de deux semaines. Et que César a été assassiné début septembre 2009.

C'est la même histoire avec les distances, en pire. Et je ne blâme personne. Demandez-moi où je situe la galaxie M31 (Andromède) par rapport à la nôtre, sans consulter Wikipedia, et je dirai... 100 millions d'années-lumière? En fait elle est à 3 millions d'années-lumière, ce n'est pas très "spectaculaire". Mais c'est-là que ça se corse, pour ceux que les TRÈS gros chiffres affolent : 3 millions d'années-lumière c'est 28 milliards de milliards de kilomètres. Et on parle de la galaxie la plus proche (parmi les grosses) !
En fait, le truc le plus lointain qu'on ait vu se trouve 4000 fois plus loin. Donc à plus de 100 000 milliards de milliards de kilomètres.

La Lune, que relativement pas mal de personnes parviennent à situer dans une fourchette correcte (disons entre 100 000 et 500 000 km, c'est à leur honneur), se trouve 300 millions de milliards de fois plus proche. En gros, Terre--Lune par rapport à Terre --"limites de l'Univers", c'est comme l'épaisseur d'un cheveu (0.1mm) par rapport à ... huit cent mille fois le tour de la Terre taille normale.
Revenons donc à Andromède, une galaxie à peu près de la taille de la nôtre. Si la Terre était une tête d'épingle ou une rognure d'ongle (1mm), le soleil se trouverait à 15 mètres, et Andromède à ... 3 milliards de km, à l'extérieur du système solaire. C'est foutu pour cet exemple. Pas moyen de saisir l'abîme. Mais il existe, je vous le clame du haut de ma rognure !

vendredi 8 janvier 2010

41638 soleils couchants

Il y a 114 ans jour pour jour mourait Paul Verlaine, le poète.
Cent quatorze ans ans, nom de Dieu !
C'était pas hier. Et pourtant ! Sur ce site (Validated Living Supercentenarians), on voit qu'il reste encore 5 personnes dans le monde à être nées avant le 8 janvier 1896.
Dans une semaine, un mois, quelques mois, il est fort probable que cette liste sera réduite à rien. Ça fout le bourdon.
Mais d'un autre côté, ça crée un lien avec des générations lointaines. Dont celle de Verlaine.
Je me dis : "il y a des personnes qui, en ce moment même, respirent, et qui respiraient déjà quand Verlaine n'avait pas encore expiré". Ces personnes (trois Américaines, une Japonaise) n'ont certainement jamais entendu parler du poète, et devraient s'en foutre royalement si on leur expliquait qui il était. Mais on pourrait remplacer Verlaine par Nobel, ou par Emma Darwin (l'épouse de Charles), ou par Pasteur...
114 ans, donc.
Verlaine est mort sans savoir qu'au même instant, quelque part en Autriche, un petit garçon de sept ans mangeait sa soupe ou jouait aux osselets, et que ce gamin deviendrait un demi siècle plus tard le principal responsable d'une guerre monstrueuse.
Il est mort sans savoir qu'un jeune homme de 17 ans, en Suisse, était en train d'achever ses études secondaires, et allait bientôt changer les perspectives cosmologiques de l'humanité, comme Newton l'avait fait deux cent ans plus tôt.
Il est mort sans savoir qu'au même instant, un bambin de 5 mois, Mary Josephine Ray, braillait quelque part en Amérique du Nord en attendant sa tétée. Et que le coeur de cet enfant battrait encore dans le corps d'une très vieille dame, le 8 janvier 2010, 41638 soleils couchants plus tard.

Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
La mélancolie
Berce de doux chants
Mon coeur qui s'oublie
Aux soleils couchants.
Et d'étranges rêves
Comme des soleils
Couchants sur les grèves,
Fantômes vermeils,
Défilent sans trêves,
Défilent, pareils
À des grands soleils
Couchants sur les grèves

(Verlaine, Poèmes saturniens)

Le Crépuscule des Vaches


... si on est dans l'hémisphère sud ... Il s'agit sinon de l'Aube des Vaches.
Connaissant bien l'arbre qu'on voit en ombre chinoise (c'est un noyer), je pourrais trancher. Mais les vaches, elles, viennent de moules d'origine incontrôlée (quoique... ça doit probablement commencer par un "C"). Donc on ne peut dire avec certitude si les vaches font mufle à l'est... ou à l'ouest.