dimanche 24 mai 2009

Des gros vers mous à traire

Ce midi, petite faim. Rien d'anormal à cette heure.
Je jette mollement mon dévolu sur un Thaï Express, une fois n'est pas coutume, et je commande un Pad Sew "végé" - une assiette de pâtes larges avec des légumes. Quand le cuistot me tend mon repas par dessus le comptoir, je me rappelle soudain pourquoi je m'étais juré de ne plus venir bouffer dans ce genre d'endroit.
Le truc rond en carton - qui mérite autant le nom d'assiette qu'un coke celui de grand cru - ploie sous la masse de pâtes dégoulinantes de sauce. Je dois faire attention à ne pas en foutre partout, le glorb difforme glisse sur son carton plastifié comme un terril de bouffe, un monceau de bâfre, un tombereau de graille huileuse. Merde ! Et dire que je suis dans un restau "santé", et que c'est un plat végé !
C'est une pleine marmite qui fume sur mon cabaret (plateau). D'accord, je ne suis pas un gros mangeur, mais là c'est du n'importe quoi. Et quand je regarde les assiettes des autres personne, je vois la même orgie de boustifaille triomphante. On est en Amérique du Nord, mais ça n'explique pas tout quand même.
Je pioche les meilleurs morceaux de mon "assiette", je m'enquille une bonne ration de pâtes, puis je décide de m'arrêter, écoeuré par le trop de sauce trop salée, trop sucrée, trop trop.
Il me reste plus de la moitié du plat dans mon "assiette".
Tout file à la poubelle.
Un "doggy bag" ? Non, merci. Déjà qu'on se sent pas mal rabaissé à une bestiole de ferme quand on se fait servir la pâtée dans une bauge en carton, alors je ne vais certainement pas récupérer la graille tiédasse pour me la réchauffer le soir venu.
Mais qu'est-ce que c'est que cette société qui nous gave comme des oies, qui nous colle des escaliers mécaniques partout, qui nous enlève des trottoirs pour laisser passer plus de bagnoles, qui nous refile de la viande aux hormones, aux antibiotiques, des céréales poussés aux pesticides, des fruits d'été sans goût en plein hiver, des repas surgelés bourrés d'à peu près tout ce qu'il ne faut pas - sel en masse, gras, sucres omniprésents, liste de conservateurs et autres exhausteurs de goût à n'en plus finir - et qui, en même temps, nous pond des tonnes de lois et de règlements pour nous empêcher de nous faire mal - ceinture de sécurité, loi anti-tabacs, casque pour cyclistes, protections en tout genre etc.
Voudrait-elle faire de nous de gros vers mous vulnérables qu'elle ne s'y prendrait pas mieux.
Mais pourquoi voudrait-elle faire une telle chose ? Et d'abord, c'est qui, "la société" ?
C'est simple : la société, c'est plein d'acteurs. Mais les acteurs les plus riches peuvent se prévaloir d'être aussi les plus influents, à tel point que la société, au final, c'est ceux qui ont le plus de fric, et s'ils ont ce fric c'est souvent parce qu'ils sont influents et qu'ils peuvent se permettre d'en faire encore plus. Et comment s'en faire plus quand on s'en fait déjà plein ? En augmentant les marges, en vendant de l'inutile, en baissant les coûts et donc la qualité. Ces acteurs ne veulent pas mal faire, ils veulent faire bien, au contraire, mais pour eux faire bien c'est faire plus de cash.
Et pour faire plus de cash, le moyen le plus simple c'est de faire plus. Toujours plus. Hasta l'indigestion, siempre !
Mon assiette du Thaï Express n'est qu'un exemple anecdotique de cette tendance lourde qui marque les sociétés occidentales depuis une trentaine d'années.
Citius ! Altius ! Fortuis !
Ce devrait être : plus fort ! Plus fort !! Plus fort !!!
Plus fort, le goût : du ketchup partout, des exhausteurs, des "saveurs" industrielles étudiées pour réduire les papilles à ne plus savoir apprécier la diversité, mais seulement l'intensité. Exit la variété.
Plus fort, le bruit : de plus en plus d'études nous parlent de la surdité croissante chez les jeunes personnes, et aussi chez les autres qui subissent le bruit du trafic routier, l'agression des publicités à la TV, la musique à tue tête (j'aime cette expression...) dans les magasins de fringues, dans les centres commerciaux.
Plus vive, la lumière : les millions - eh oui, millions - de lampadaires qui éclairent une bonne partie du globe tout la nuit, en fait qui éclairent le ciel ; les milliards - eh oui, milliards - d'ampoules dans les maisons, les apparts, celles des milliards - oui oui milliards - de véhicules qui roulent la nuit, les projecteurs sur les terrains de soccer, dans les parcs, près des monuments, qui crachent leurs lumens du soir au matin...
Plus forts, les parfums et les "purificateurs d'air" : ça fait longtemps qu'on a perdu notre pif de chasseur ou de pisteur, mais c'est pas une raison pour saturer l'air de milliers de molécules agressives pour le nez, au détriment de toutes les odeurs légères et naturelles qui embaument naturellement notre environnement. Anti-sudorifiques, eaux de Cologne, sprays, bâtonnets d'encens, diffuseurs de parfums "d'ambiance"... Voyez la débilité des parfums "brise marine" ou autres "senteurs du verger", des trucs 100% chimiques et parfois cancérigènes, alors qu'on ne prend même plus la peine de renifler le monde. Qui cueille encore des brins d'herbes, déchire les feuilles d'arbre pour les sentir, hume la roche, le bois, les métaux pour en apprécier les milliers de nuances ? Vous, peut-être, mais alors vous devez être malheureux quand vous croisez une pompe à essence qui empeste de tout son fuel à la ronde.
Plus puissantes, les enceintes sonores, plus larges, les écrans HD, plus gros, les barbecues qu'on dirait sortis d'un film de SF - j'en ai vu des aussi gros qu'un petit tracteur... -, plus...
Plus, plus, plus : syndrome d'accoutumance.
Mais un jour ce sera moins, et même beaucoup moins. Le plus dégueulasse, c'est que ce ne sera pas nous qui devrons nous serrer la ceinture. Ce seront peut-être les enfants qui naissent en ce moment. Ou, si ça arrive plus vite, les ados actuels : je les plains, car bien plus gros consommateurs que ceux de mon époque, ils sont aussi plus susceptibles de connaître le "stop" brutal devant le précipice, et pour eux ce sera très dur.
Mon assiette monstrueuse du Thaï Express sera pourrie depuis longtemps quand elle sera devenue suffisante pour nourrir une famille entière. D'ailleurs, et j'arrête là-dessus car ça me fait gerber d'y penser, cette putain d'assiette nourrirait DÉJÀ pas mal de gens en ce moment même, en des endroits où notre "plus" est en grande partie la cause de leur "moins".







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire